Les lâchers de moustiques stériles pour lutter contre la maladie

Utiliser des moustiques pour combattre la dengue, c’est une des solutions pour lutter contre le virus qui sévit déjà depuis plus de quatre ans sur l’île de la Réunion. Les TIS (Technique de l’insecte stérile) consistent à lâcher des individus mâles et stériles dans les zones d’habitat des moustiques d’espèce « aedes aegypti » et « aedes albopictus ». Le Cirad et l’IRD ont mené une série de lâchers de moustiques en 2021 avec une TIS renforcée (moustiques avec biocide).

Les opérations de grande envergure comme les lâchers de moustiques stériles ont fait leurs preuves.  Plusieurs ont été effectués en 2021 notamment à Saint-Joseph, dans le quartier de Vincendo, dans la ravine de la rue Damour plus précisément. Plusieurs milliers de moustiques ont été lâchés dans cette zone, d’avril à mai 2021 pour éliminer l’aedes aegypti, une espèce invasive et isolée dans ce secteur.

Cette opération TIS (Technique de l’insecte stérile) renforcée menée par le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche) en partenariat avec l’IRD, (Institut de recherche pour le développement) entre dans le cadre du projet ERC Revolinc. Celui-ci vise à développer des méthodes alternatives pour lutter contre les insectes vecteurs de pathogènes et ravageurs de culture.

Quelle efficacité pour les lâchers de moustiques ?

Ce sont 60.000 mâles stériles aedes aegypti qui ont été lâchés dans cette zone. « Nous avons constaté une baisse de 88% de cette espèce en juillet 2021 » indique Thierry Baldet, entomologiste médical du Cirad et coordinateur du Réseau régional One Health de l’océan Indien (OHOI). « Même si le moustique tigre reste le principal vecteur de la dengue, l’aedes aegypti est une espèce à risque qu’il faut continuer à surveiller » précise le scientifique.

« Même si nous n’avons pu lâcher que 60.000 moustiques sur les 600.000 prévus, le résultat est très encourageant » explique-t-il. Le Cirad a constaté une quasi disparation de l’aedes aegypti dans le secteur concerné par les lâchers de moustiques « même si cela reste temporaire » souligne Thierry Balder.Le Cirad et l’IRD avait prévu de lâcher initialement 600.000 moustiques mâles stérilisés mais à cause des « tensions fortes au niveau de l’aérien » le reste des individus n’a pu être reçu de Vienne. Pour mener cet essai pilote, des moustiques de la même espèce et issus de La Réunion ont été envoyés à l’insectarium de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA) à Vienne, faute d’insectarium local ayant les capacités d’accueil suffisantes pour le lancer un essai pilote. Les moustiques y ont ensuite été élevés puis stérilisés par irradiation. « C’est une technique utilisée couramment pour les graines et le plasma et qui n’a aucune incidence pour l’Homme » tient à préciser Thierry Baldet.

Moustique stérile avec ou sans biocide

Cette opération ciblait seulement les mâles stériles de l’espèce aedes aegypti. « Cet essai pilote a été réalisé sur cette espèce pour montrer son efficacité » explique Thierry Baldet.  En plus de relâcher cette catégorie de moustiques, le Cirad et l’IRD ont effectué cette TIS avec des individus recouverts d’un biocide, le pyriproxyfène, une susbtance qui permet de tuer toute descendance. « Le moustique aedes aegypti mâle rend la femelle stérile et lui transfère le biocide. Quand elle se rendra dans le gite larvaire, elle ramènera cette substance avec elle ce qui tuera toute sa descendance » détaille l’entomologiste.

Cette TIS renforcée se veut respectueuse de la biodiversité réunionnaise. « Ces lâchers de moustiques touchent seulement les espèces invasives et non les endémiques » tient à préciser le scientifique. « Les espèces locales ne transmettent pas le virus de la dengue, et en menant ces TIS nous les préservons » ajoute-t-il. A La Réunion, deux espèces de moustiques sur 12 sont endémiques.

Lâcher par drone ou par voiture

Les scientifiques ont lâché des moustiques par drone et depuis le sol. « Le lâcher par drone est encore en phase de développement » précise Thierry Baldet, ce qui explique que moins d’individus ont pu être relâchés. « Nous avons constaté une surmortalité de ces moustiques » indique-t-il. Néanmoins, le drone permet de les libérer sur une plus grande surface. « Nous travaillons actuellement sur l’amélioration des lâchers par drone, pour qu’ils soient plus précis et qu’ils couvrent de plus larges surfaces » explique-t-il. 

A contrario, les moustiques sont plus résistants et plus nombreux quand ils sont lâchés depuis le sol. Mais l’opération coûte plus chère, couvre une zone moins importante et mobilise plus de moyens financiers et logistiques.

Le Cirad ne prévoit pas d’autres lâchers de moustiques pour l’année 2022 mais est actuellement en réflexion pour mettre en place d’autres études de plus grande envergure. « Nous souhaitons mettre en place des essais plus importants qui prennent en compte les paramètres de transmission de la dengue, les vecteurs virologiques et cliniques » explique Thierry Balder. « Nous voulons montrer que cette technique marche pour contrôler la transmission de cette maladie » ajoute-t-il.

Ces études permettront de couvrir une région plus importante « pas toute La Réunion » tient à préciser l’entomologiste, « mais à l’échelle d’une ville ». Les prochaines surfaces qui pourraient faire l’objet de lâchers de moustiques stériles sont les zones littorales, les plus touchées par la dengue. « On agira de manière raisonnée car il faut étudier aussi les coûts et l’efficacité de ce type d’intervention de manière durable » indique le scientifique.

Une opération également contre Aedes Albopictus

L’IRD a elle aussi mené des opérations de lâchers de moustiques stériles. La phase d’expérimentation a débuté en juillet 2021 dans la zone de Duparc de Sainte-Marie. Cette TIS classique se déroule sur un an, jusqu’au mois de juillet 2022. Les résultats de mi-parcours seront communiqués durant le mois de mars.
Cette opération cible cette fois-ci l’aedes albopictus, « une espèce préoccupante et responsable des épidémies de chikungunya et de la dengue » explique Louis Clément Gouagna, chercheur scientifique à l’IRD et responsable coordinateur du programme TIS à La Réunion. Les moustiques aedes albopictus sont ciblés du fait de leur « répartition inégale sur l’île contrairement à celle de l’aegypti qui se trouve principalement dans les espaces sauvages du sud de l’île » indique le chercheur scientifique de l’IRD.

Dans les deux cas de la TIS, classique et renforcée, aucune mutation n’est possible car l’œuf n’est pas viable. « Les mâles sont stérilisés par rayon X, c’est comme si on leur faisait passer une radio » souligne Louis Clément Gouagna.

« Ces lâchers de moustiques permettent de baisser significativement la population, pas de l’éradiquer » précise le responsable coordinateur du programme TIS.  » Si on réduit leur fertilité maintenant on peut diminuer leur nombre pour les années à venir »souligne-t-il.

Si ces techniques de l’insecte stérile permettent de réduire considérablement la population de moustiques aedes albopictus et aedes aegypti, Louis Clément Gouagna tient à rappeler que les gestes traditionnels doivent être appliqués.  » C’est uniquement avec l’aide la population que nous pourrons réduire ces populations de moustiques « .

Une nouvelle avancée scientifique pourrait permettre d’intensifier la lutte contre la dengue. La pépinière du Cyroi (Cyclotron Réunion Océan Indien), accueille la société Symbiotic SAS qui utilise la bactérie Wolbachia pour tenter de vaincre le virus de la dengue. L’expérience menée en Indonésie avait été plutôt concluante. Sur les 312.000 personnes, 77% montrait une réduction des cas de dengue. Symbiotic SASvise une mise en production début 2024. Une bonne nouvelle pour tenter d’éradiquer cette épidémie qui touche La Réunion depuis des années.

La Dengue

Pour rappel, le virus de la dengue est présent sur notre île depuis le début des années 2000. Mais ce n’est qu’à partir de 2018 que l’épidémie s’intensifie. 4 ans désormais que La Réunion vit sous la menace de la dengue, virus transmis par son principal vecteur le moustique tigre. L’ARS (Agence régionale de santé) recommande d’appliquer les gestes traditionnels pour se protéger et éviter la prolifération des moustiques : se protéger des piqûres avec des répulsifs, moustiquaires et éliminer et vider l’eau stagnante des gîtes à moustiques : tout ce qui peut contenir de l’eau chez soi et tout autour de son domicile.

L’épidémie est encore bien présente à La Réunion. Du 7 au 20 février 2022, 90 cas de dengue ont été signalés. Depuis le début de l’année, trois hospitalisations pour dengue dont deux pour forme sévère et 10 passages aux urgences ont été enregistrés

[Source : IPReunion]