« C’est l’animal le plus dangereux pour l’humanité », prévient Pascal Boireau, vice-président du conseil scientifique du Haut Conseil des biotechnologies (HCB). Les maladies virales ou parasitaires (dengue, paludisme, fièvre jaune, zika, chikungunya, etc.) transmises par les moustiques sont en effet responsables de près d’un million de décès chaque année dans le monde.
« La France est très concernée en outre-mer mais aussi en métropole avec le développement du moustique tigre lié au réchauffement climatique », explique Christine Noiville, présidente du HCB. C’est la raison pour laquelle Ségolène Royal avait saisi cette instance en octobre 2015 afin de l’éclairer sur les avantages et inconvénients liés à l’utilisation de moustiques génétiquement modifiés pour lutter contre ces maladies.
Le Haut comité créé en 2008 suite au Grenelle de l’environnement a rendu son verdict mercredi 7 juin sous la forme d’un avis émis par son comité scientifique (CS) et d’une recommandation de son comité éthique, économique et social (CEES). Conclusions ? « Bâtir une stratégie de lutte anti-vectorielle sur les seuls moustiques génétiquement modifiés serait inapproprié. Mais s’interdire de les utiliser n’est pas souhaitable non plus », résume Christine Noiville à l’attention du gouvernement.
Le Haut Conseil des biotechnologies n’exclut donc pas le recours à des moustiques génétiquement modifiés
Le recours à des moustiques génétiquement modifiés ne doit pas être négligé pour lutter contre les moustiques vecteurs de maladies. Mais parmi d’autres solutions et après évaluation, affirme le HCB.
Nouvelles techniques basées sur des moustiques modifiés
Les vaccins sont en effet rares et les traitements peu efficaces contre les maladies transmises par les moustiques. La lutte antivectorielle, consistant à s’attaquer aux moustiques vecteurs, est donc essentielle. Plusieurs techniques de lutte sont possibles, dont des techniques classiques de type chimique, biologique, physique ou environnemental.
« La destruction des larves et des adultes s’appuie notamment sur des substances chimiques insecticides », affirmait Ségolène Royal dans sa lettre de saisine. Or, les molécules insecticides de synthèse sont sous le coup d’importantes restrictions d’utilisation, comme le malathion dont l’usage a cessé en Guyane suite à son classement comme cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer en mars 2015. Les moustiques développent par ailleurs une résistance aux insecticides. Ce qui pousse les autorités à se tourner vers d’autres stratégies de lutte.
Or, de nouvelles techniques basées sur des lâchers de moustiques modifiés ont émergé depuis quelques années. Les moustiques peuvent être modifiés génétiquement, comme ceux développés par la société britannique Oxitec qui a procédé à des essais au Brésil, au Panama, aux îles Caïman et en Malaisie. Mais des techniques ne faisant pas appel à une modification génétique existent aussi, telles qu’une irradiation rendant les moustiques stériles ou une transinfection par la bactérie Wolbachia qui présente des propriétés exploitables en lutte anti-vectorielle.
En complément d’autres techniques classiques
« Le recours à des moustiques modifiés apparaît être une stratégie à ne pas négliger », conclut le HCB. Les 3 techniques qui y font appel « pourraient être testées, de manière précautionneuse et étape par étape (…), selon les vecteurs considérés, en combinaison avec les techniques classiques actuellement utilisées dans le cadre d’une gestion intégrée », conclut le comité scientifique. Ce dernier met en avant l’avantage lié à une baisse de l’utilisation des insecticides qui seraient alors réservée aux cas d’urgence sanitaire.
L’efficacité de ces techniques n’est en revanche pas encore prouvée. « Une réduction de la population de moustiques est constatée, mais l’impact sur les épidémies reste à vérifier », prévient Christine Noiville. Dans son courrier de saisine, Ségolène Royal rappelait que le gouvernement de Malaisie avait abandonné l’idée de recourir aux moustiques génétiquement modifiés, jugée « peu efficace et trop coûteuse ».
« Ces solutions sont promues par les acteurs de la recherche, les start-up, les fondations, qui ne sont pas prêtes à s’insérer dans les dispositifs de lutte anti-vectorielle classiques », analyse également Claude Gilbert, président du comité économique, éthique et social, qui rappelle que les techniques classiques ont produit des résultats remarquables, notamment contre la paludisme.
Une évaluation extrêmement approfondie est nécessaire
Dans tous les cas, « l’utilisation de moustiques modifiés nécessitera une évaluation extrêmement approfondie et une information du public », ajoute Christine Noiville. Sur le premier point, le HCB affirme que les impacts environnementaux et sanitaires devraient être évalués préalablement aux lâchers, notamment en termes de modification de niches écologiques ou de remplacement de vecteurs. « Le recours à ces êtres vivants modifiés est (…) loin d’être anodin », juge en effet le comité économique, éthique et social.
« La perception des populations, les bouleversements des manières de vivre et de penser la relation au milieu vivant, etc., nécessitent d’associer la société civile aux processus de décision et de suivi, en tenant compte des perceptions culturelles propres à chaque territoire », avertit le HCB concernant l’information du public.
D’autres questions restent encore sans réponse. C’est le cas de la partie réglementaire. Jugé globalement adapté, des questions persistent toujours sur les techniques de forçage génétique, encore au stade de la recherche, ou la modification par Wolbachia dont la qualification OGM reste incertaine. « Sur ce dernier point, la Commission européenne n’a pas su répondre », révèle Christine Noiville.
[source : actu-environnement.com]