La fièvre jaune menace le Brésil

Alors qu’il restait depuis plusieurs siècles dans la forêt, le virus de la fièvre jaune fait soudainement une percée à 150 km de Rio. Il a déjà tué 162 personnes.

Au beau milieu de la forêt, près de l’océan Atlantique, Casimiro de Abreu est une petite ville du littoral brésilien. Le 11 mars 2017, elle est devenue le centre du Brésil quand un père de famille de 38 ans, Watila Santos, y est mort. Emporté par la fièvre jaune, tandis que l’un de ses voisins était envoyé à l’hôpital et que quatre cas suspects étaient placés sous surveillance. Or Casimiro de Abreu n’est située qu’à quelque 150 km de Rio de Janeiro. Une bombe potentielle, si le virus venait à investir les territoires urbains surpeuplés.

Un virus tueur de singes

Le virus de la fièvre jaune est plutôt ancien en Amérique du Sud: la traite négrière l’a en effet importé d’Afrique en compagnie de son véhicule préféré, le moustique Aedes aegypti. Des épidémies meurtrières ont éclaté jusqu’à ce que «le Brésil éradique le moustique dans les années 1950, quand les produits chimiques fonctionnaient encore», raconte Anna-Bella Failloux, responsable du laboratoire Arbovirus et insectes vecteurs à l’Institut Pasteur de Paris. «Depuis cette époque, le virus était resté cantonné aux forêts, avec des transmissions entre les moustiques et les singes.»

Quand ils n’entendent plus les singes hurler, c’est que le virus est là

Les cas de transmission à l’homme restaient des cas isolés. « Contrairement aux singes africains, ceux d’Amérique du Sud meurent de la fièvre jaune, explique la pasteurienne. Les villageois savent que quand ils n’entendent plus les singes hurler, c’est que le virus est là… »

« Chaque année le virus de la fièvre jaune se rapproche des villes, Il n’y a pas de raison qu’il ne finisse par y arriver » précise Anna-Bella Failloux, responsable du laboratoire Arbovirus et insectes vecteurs à l’Institut Pasteur de Paris

Récemment, le virus est sorti de la forêt pour effectuer une percée inquiétante chez l’homme: le 24 mars dernier, le ministère de la Santé brésilien décomptait 2104 cas notifiés de fièvre jaune, dont 492 biologiquement confirmés ; 162 personnes en sont mortes et 95 décès supplémentaires sont suspects. Cette épidémie intervient dans des zones jusqu’ici protégées de la maladie (Minas Gerais, Espirito Santo, États de Sao Paulo et Rio de Janeiro). Après la dengue, le West Nile, le chikungunya puis Zika, c’est donc au tour de la fièvre jaune de menacer le Brésil.

La fièvre jaune tue 30% des personnes infectées

La situation pourrait nettement empirer si le virus atteignait les villes, où la population n’est que peu vaccinée et Aedes aegypti très présent. L’équipe d’Anna-Bella Failloux s’est penchée sur la compétence du moustique tigre à véhiculer le virus: «Quand on infecte des Aedes aegypti en laboratoire, au bout de 15 jours 30 % sont capables de transmettre la souche brésilienne.» Ils ne sont que cependant que 10 % à véhiculer Zika, qui s’est pourtant répandu comme traînée de poudre. «Chaque année le virus de la fièvre jaune se rapproche des villes, constate Anna-Bella Failloux. Il n’y a pas de raison qu’il ne finisse par y arriver.»

La situation brésilienne inquiète. Le 8 mars dans le New England Journal of Medicine, Anthony Fauci, directeur de l’Institut américain pour les allergies et les maladies infectieuses, estimait «hautement improbable une épidémie dans les États-Unis continentaux, où la densité de moustiques est faible». Mais il imaginait volontiers des cas importés lançant des transmissions locales, voire une épidémie dans des territoires comme Porto Rico. En France, le 10 février, le Haut Conseil à la santé publique jugeait le risque «réel» aux Antilles et à Mayotte, «faible mais ne pouvant être exclu» à La Réunion et «très faible mais ne pouvant être exclu» dans les départements de métropole où sévit Aedes albopictus, un «cousin» d’Aedes aegypti.
Risque de pénurie

Aucun traitement contre la fièvre jaune

Il n’existe actuellement aucun traitement contre la fièvre jaune. La seule solution pour réduire le risque consiste à vacciner la population, ce qu’on entrepris les autorités brésiliennes. Le vaccin est efficace dès 9 mois (99% des vaccinés sont protégés 30 jours après l’injection). «Il faudrait le rendre obligatoire pour les voyageurs allant au Brésil, comme c’est le cas en Guyane», plaide Anna-Bella Failloux. Le problème réside alors dans le risque de pénurie. En effet, quatre fabricants seulement dans le monde sont capables de produire ce vaccin selon les normes de l’OMS. Un groupe international de coordination chargé de constituer des provisions du vaccin avait peiné l’an dernier à répondre à une épidémie en Angola.

[source : Le Figaro]