Enquête : un an après, que sont devenus les bébés zika ?

Voici un article paru dans le magazine « Elle », qui relate l’histoire de ces femmes dont le bébé a eu de graves séquelles suite à la contraction du virus Zika par la maman lorsqu’elle était enceinte.

En mars 2016, une reporter du magazine « Elle » était partie dans la région de Recife à la rencontre des mères de bébés touchés par le terrible virus. Un an plus tard, le magazine « Elle » a retrouvé ces femmes courageuses qui expliquent le calvaire de leur enfant et leurs faibles espoirs.

Bebes Zika 1 an apres

De graves séquelles

João Guilhermo, 17 mois, se redresse lentement, centimètre par centimètre. Vaillant et concentré. Pepita Duran, la physiothérapeute qui lui dispense deux séances gratuites de rééducation par semaine, l’encourage de sa voix douce, soulignant chacun de ses efforts en chantant une comptine. Quand l’enfant relève enfin la tête, Veronica, sa mère, applaudit, émue. Et João Guilhermo sourit. Double victoire : le petit garçon, lourdement handicapé par de graves troubles moteurs cérébraux provoqués par le virus Zika dont il a été infecté in utero, peut tenir sa tête seul. Et son sourire, tandis que sa mère et la thérapeute le félicitent, prouve qu’il communique avec son entourage. Veronica le sait : son fils ne sera jamais « comme les autres ». Le terrible virus transmis par le moustique tigre a irrémédiablement endommagé son cerveau, avec des conséquences graves sur l’ouïe, la vue, la motricité, la parole, les appareils respiratoire et digestif, le cœur, la tonicité musculaire. Sans compter que les « bébés Zika » présentent un risque accru d’épilepsie dont les convulsions mettent en danger leur vie.
Un virus qui produit de lourds handicaps

Une contamination in-utero

Mais aujourd’hui, dans le cabinet de Pepita Duran, Veronica veut enfin croire en l’avenir. Nous l’avions rencontrée l’an dernier, à la même époque, chez elle dans un quartier populaire d’une petite ville à quarante-cinq minutes de Recife, au nord-est du Brésil. La région qui compte le plus grand nombre de naissances d’enfants contaminés in utero par le virus. Lors de notre première rencontre, Veronica et son mari Armando, leur minuscule petit garçon de 4 mois lové dans les bras maternels, étaient effondrés. Terrorisés. Les médecins découvraient, comme eux, de radios en tomographies, l’ampleur des dégâts causés par le virus dans le cerveau de leur bébé. Comment allaient-ils faire face ? Les soins indispensables pour tenter d’enrayer les handicaps, annoncés par les spécialistes, étaient si lourds – et si chers. C’est dans les familles des quartiers les plus modestes – où vivent Veronica et Armando – et des favelas, cloaques humides aux rigoles infestées de moustiques, que la majorité des femmes enceintes a été contaminée entre septembre 2015 et janvier 2016, lors des premiers mois de leur grossesse. Pas de climatisation pour rafraîchir l’atmosphère et faire fuir les moustiques. Pas ou peu de moyens pour acheter des insecticides ou installer des moustiquaires. Et une information tardive des pouvoirs publics sur le risque auquel les piqûres exposaient les femmes enceintes. Pas d’IVG non plus, pour celles détectées positives au virus : au Brésil, l’avortement est interdit, sauf si le foetus est déclaré sans cerveau. Les bébés Zika en ont un, aussi abîmé soit-il.

Un gouvernement absent

Si les parents de João Guilhermo ont repris espoir, si le petit garçon fait d’infimes mais cruciaux progrès, c’est grâce à la solidarité privée. Celle de l’ONG Amar, notamment, qui regroupe des parents d’enfants handicapés psychomoteurs touchés par des maladies rares, dont 158 mères d’enfants Zika. Et la générosité de professionnels, qui, comme Pepita Duran, offrent des soins indispensables et coûteux. Pas au gouvernement, qui, « malgré ses belles promesses devant les Nations unies et la presse internationale, ne fait rien ou presque », dénonce le couple d’une même voix. Qu’importe si, deux fois par semaine, Veronica, son petit dans les bras, prend trois bus et fait quatre heures de trajet pour rejoindre les séances de physiothérapie. Sans compter les visites mensuelles chez la neurologue, l’ophtalmo, le gastro-entérologue. Un véritable parcours de combattantes pour ces mères.

De nouveaux symptômes découverts chaque mois

Daniele, 30 ans, séparée de son mari, maman de Juan, 16 mois, et d’une fillette de 12 ans, a trouvé un emploi de réceptionniste à mi-temps. Elle emmène son fils trois fois par semaine à ses séances de rééducation. Impossible d’assurer un plein-temps. Quand elle travaille, sa mère, ou sa soeur, garde le petit. « Je ne gagne que 900 reais mensuels (environ 250 euros), les médicaments me coûtent 50 reais par mois (environ 15 euros), explique-t-elle, heureusement qu’une clinique privée offre des soins, sinon je ne pourrais pas. Mais il y a deux jours, Juan a eu des problèmes respiratoires et j’ai dû dépenser 150 reais de traitement. Et il a encore 38,5 de fièvre… » Juan ne peut ni s’asseoir ni marcher. Il entend à peine la voix de sa mère. « Il voit très mal aussi, dit Daniele. Comme je travaille, je ne reçois rien du gouvernement, qui verse une allocation aux mères sans emploi d’enfants Zika. Entre le loyer et la nourriture, je n’ai pas les moyens de lui acheter une paire de lunettes. J’espère qu’on m’en fera don. » Dans la salle d’attente d’un dispensaire de Recife, Daniele, pourtant si réservée, ne cache pas sa colère : « Chaque mois, on découvre une nouvelle maladie à mon bébé, mais rien n’est fait pour la prise en charge des examens et des soins. »

Un combat de tous les instants

« Beaucoup d’entre nous ne reçoivent aucune aide du gouvernement parce que celle-ci est allouée au vu de tests prouvant que nous avons été contaminées par le virus Zika. Or, nous sommes nombreuses à encore attendre les résultats ! J’ai l’impression qu’on ne teste nos bébés que pour servir à la recherche. On ne communique pas les résultats aux familles. Seule la société civile s’est mobilisée pendant l’épidémie l’an dernier. Le gouvernement, lui, nous oublie », dénoncent Jusikelly, 33 ans, mère de Luhandra, 17 mois, et son amie Rosana, 27 ans, mère de Luana, 17 mois aussi. Nous avions rencontré les deux jeunes femmes l’an dernier lors d’une réunion de « mamans de bébés Zika » organisée par l’ONG Amar qui leur fournit couches et lait maternisé. Rosana, pimpante dans sa jolie robe, accompagnée de sa petite Luana toute souriante, dit « avoir surmonté le traumatisme d’avoir un bébé handicapé ».
Ces mères éprouvent colère et angoisse

Serveuse de temps en temps dans un restaurant, mère célibataire de trois fillettes – le père de sa petite dernière, contaminée par le virus Zika, l’a quittée peu après la naissance -, elle craint de perdre son travail : « Mon patron pense que je ne suis pas fiable parce que j’ai un enfant handicapé qui a besoin de beaucoup de soins… » Elle touche quand même 937 reais (environ 270 euros) d’allocation. Trop peu pour boucler son budget. Elle enchaîne les petits boulots à côté, coupe les cheveux à domicile, vend dans son quartier les petits plats qu’elle prépare… « Les médecins nous aident, mais le gouvernement ne réalise absolument pas ce que nous traversons, ils n’ont pas de bébé’spécial’ comme nous, ils ne comprennent pas nos difficultés au quotidien », poursuit Rosana. « Il n’y a pas assez de spécialistes », s’indigne de son côté Jusikelly. Dans une petite salle de réunion de l’association Amar, où les familles d’enfants « spéciaux », disent les adhérents, se retrouvent pour échanger et s’épauler, la jeune femme prépare le biberon qu’elle adapte à la sonde dont a été équipée sa fille. « Son grave reflux gastrique l’empêche de se nourrir normalement depuis janvier, explique la jeune mère. Elle doit prendre cinq médicaments par jour. Mais, pour les obtenir dans les centres publics médicaux, il faut une prescription, or, souvent, devant l’afflux de patients et le manque de personnel, les consultations sont annulées. Nos enfants ont besoin de multiples opérations du cerveau, de soins lourds, de prothèses auditives, de lunettes… Qu’est-ce qu’on fait alors ? » Pas le genre à baisser les bras, l’énergique Jusikelly. Mais elle peine à retenir des larmes de colère et d’angoisse.

Des moustiques toujours aussi présents

« La population a développé une immunité dans notre région, mais le virus n’a pas disparu. Les moustiques sont toujours là »

Dans son cabinet d’un dispensaire public, la Dre Vanessa Van Der Linden, pédiatre-neurologue, se veut pourtant optimiste. L’an dernier, elle enchaînait les consultations et nous racontait son épouvante devant le nombre inhabituel de bébés microcéphales qu’elle recevait. Au tout début de l’épidémie, fin 2015, cette jeune spécialiste et sa mère, neurologue elle aussi, ont été les premières à faire le lien entre les femmes piquées par un moustique tigre pendant leur grossesse et les naissances de bébés microcéphales. Leur soupçon a permis d’engager les recherches qui ont mené les spécialistes à identifier la responsabilité du moustique tigre dans la contamination. Sans triomphalisme, « docteur Vanessa », comme l’appellent les mères, ne cache pas son soulagement. L’épidémie est enrayée. Pour le moment. « Depuis décembre 2016, je n’ai pas enregistré de nouveaux cas. » Comment l’explique-t-elle ? « Je pense que la population a développé une immunité dans notre région qui en a été le foyer, souligne la spécialiste. Mais le virus n’a pas disparu. Les moustiques sont toujours là. Je suis optimiste concernant Recife et l’État de Pernambuco. Mais il peut ressurgir dans d’autres États. Nous restons en alerte. »
Des menaces permanentes sur la vie de leurs enfants

Des femmes qui ne veulent plus avoir d’enfant

Presque toutes les femmes que nous avons retrouvées sont catégoriques : elles n’auront pas d’autres enfants de crainte d’avoir un nouveau bébé contaminé. Et même s’il ne l’était pas, auraient-elles le temps et l’énergie de s’occuper d’un autre enfant ? C’est la question qui hante les nuits de Vanessa, dans sa maison de tôle à la périphérie de Recife. Elle vit seule avec son petit Enzo, 1 an, et Lorene, sa fille de 7 ans. Le père d’Enzo est parti, mais il aide financièrement au gré des petits boulots qu’il décroche. Enceinte de 6 mois – « un accident de préservatif » -, Vanessa sait que le bébé est normal. Une joie immense mais qui atténue à peine l’angoisse de l’avenir. Entre deux consultations médicales, elle a appris les gestes, caresses et étirements doux, indispensables pour stimuler ces enfants microcéphales dont les muscles ne répondent pas ou si peu. Chaque esquisse de sourire, chaque geste minimaliste que l’enfant fait seul, comme serrer le doigt de sa mère ou de sa physiothérapeute, chaque regard qui suit un objet sont une victoire pour les familles. Toutes savent que le combat ne fait que commencer. Que la menace d’une infection, une montée de fièvre, une crise d’épilepsie, une faiblesse cardiaque pèse en permanence sur la vie de leurs enfants. Et qu’au milieu de quelques précieux élans de solidarité de la part de la société civile et de médecins engagés, les mères de « bébés Zika » du Nordeste du Brésil restent seules pour affronter une terrible situation. C’est ce qu’elles craignaient toutes quand nous les avions rencontrées au plus fort de l’épidémie, il y a un an. Le temps a malheureusement confirmé leurs inquiétudes.

[source : Elle]